Une scène de théâtre très française jouée à Sydney

Cécile Mazurier - 09.08.13 - www.MyFrenchLife.org 6

This article is in French. Read it in English.

La mention « Les Bonnes, de Jean Genet, dans une nouvelle traduction en langue anglaise par Benedict Andrews et Andrew Upton » apposée sur l’affiche ornant la façade de la Sydney Theatre Company l’annonce d’emblée : Benedict Andrews a pris ses libertés avec la traduction littérale de ce classique français.

Jean Genet est l’un des artistes qui a le plus influencé la vision artistique de Benedict Andrews. Aidé d’Andrew Upton, tous deux ont traduit et adapté Les Bonnes avec comme objectif de « revendiquer la pièce dans le présent »¹.

L’adaptation comme geste politique

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Au théâtre, rien n’est fait au hasard (même si on veut nous faire croire le contraire) et cette transposition des Bonnes du français à l’anglais est une étape de la création qui concentre la majorité du parti-pris dramaturgique de son metteur en scène.

Une adaptation n’est pas un geste anodin seulement destiné à rendre compréhensible une œuvre théâtrale dans un autre langage. C’est un acte politique et philosophique. Les libertés prises avec le texte s’affirment comme des actes de création autonomes.

L’universalité et l’intemporalité de cette grande œuvre du répertoire français peuvent alors être déployées devant l’audience et, comme l’écrivait Genet dans sa préface, « permettront de [la] montrer à [elle]-même, et de [la] montrer nu[e], dans la solitude et son allégresse ». ²

L’adaptation des Bonnes : du français 1947 à l’anglais-australien 2013

Benedict Andrews - The Maids

Andrew Upton était à Sydney, Benedict Andrews en Islande. Pendant six semaines, ils travaillèrent sur l’adaptation des Bonnes en communiquant par Skype. Ils ont voulu leur version «grossière et charnelle […], une expérience très viscérale et émotionnelle » (3), déclamée en live English, comme si la pièce avait été écrite de nos jours.

Le but était de pouvoir transposer la subversion de l’écriture de Genet à Sydney, en 2013, du français à un anglais-australien contemporain, à l’inverse des traductions en « bon vieil anglais » (4) qui perdent cette habilité.

Cette conception de la traduction s’inscrit directement dans la lignée de l’œuvre de Robert Lowell, qui avait librement traduit des classiques de la poésie européenne dans le recueil Imitations. Sa démarche était celle d’un écrivain qui essayait de « faire ce que ces auteurs auraient pu faire s’ils écrivaient leurs poèmes maintenant et aux Etats-Unis » (5).

Que signifie la transposition d’une pièce du répertoire français à Sydney ?

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Dans Les Bonnes, la question de la lutte des classes n’est pas tant le propos que le refuge dans le fantasme, l’obédience perverse au pouvoir et la condition humaine.

« Je vais au théâtre afin de me voir, sur la scène, tel que je ne saurais – ou n’oserais – me voir ou me rêver, et tel pourtant que je me sais être. » (6) Jean Genet se voyait à la fois comme la victime et le criminel, et Claire et Solange incarnent le double de l’écrivain fracturé.

C’est intéressant, ce lien entre ce désir d’étinceler dans les ténèbres, la relation au pouvoir et au dégoût, et la face sombre de l’individu dépeints par Genet dans Les Bonnes, et Sydney, première mégapole australienne, fascinante et mystérieuse, créatrice de fantasmes mais férocement sordide sous sa beauté lumineuse.

John Birmingham l’écrit d’ailleurs à la perfection : « Scruter profondément cette ville-fantôme, celle gisant sous la surface, est comprendre que Sydney a une âme et que c’est un endroit très sombre en effet. » (7)

Et vous, avez-vous vu cette production ? Qu’en avez-vous pensé ?

Références :
1. Andrew Upton dans le programme, p.4
2. Jean GENET, Comment jouer Les Bonnes, via theatre-contemporain.net
3 & 4. Propos de Benedict Andrews recueillis par Elissa Blake, via smh.com.au
5. Robert LOWELL, Imitations, via en.wikipedia.org
6. J. GENET, op.cit.
7. John Birmingham, Leviathan, Vintage, p.252
Crédits images :
1. Cate Blanchett et Isabelle Huppert sur scène, via dailytelegraph.com.au
2. L’édition de Faber&Faber des Bonnes, 1957, via pendleburys.com
3. Benedict Andrews devant ses fleurs, via boudist.com
4. Cate Blanchett et Isabelle Huppert sur scène, via artemisprojectblog.wordpress.com
5. Cate Blanchett, via broadwayworld.com

About the Contributor

Cécile Mazurier

Three things about France I miss and how writing is (among other things) a way to sublimate the loss: 1. red wine 2. cornichons 3. sarcasm. I live in Sydney and I like demystifying clichés. You can contact me on LinkedIn or follow my non-adventures in my blog.

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